“Talk of the devil, and his horns appear”

Le palais du roi était l’un de ces lieux que le jeune sorcier n’appréciait pas. Il détestait la constante agitation dans laquelle était baigné l’édifice et devoir coller en permanence un sourire sur son visage. Car s’il y avait bien un endroit où il fallait être prudent quant à ses moindres faits et gestes c’était bien ici. Pour autant il ne l’aurait pas évité, conscient que se montrer, et à fortiori sous un bon jour, était capitale pour la réussite de son œuvre. Car si l’on parvenait à duper la cour, le monde était à nos pieds. Aussi se soumettait-il régulièrement à un bain de foule. Cela lui permettait également de se tenir au courant des derniers potins, pour peu qu’il trouve quelqu’un enclin au bavardage. Ce qui n’était jamais trop compliqué à dénicher.

« Voyez-vous jeune homme, loin de moi l’idée de jouer les mauvaises langues. Mais il faut bien avouer que les faits sont là. »
« Comme souvent Madame, vous faites toujours preuve d’une étonnante clairvoyance. Comme vous j’aimerais avoir cette capacité à… louvoyer dans les intrigues de la cour. »
« Vous savez on apprend énormément avec l’âge et… »
« Cessez donc immédiatement. Vous devez à peine avoir deux ans de plus que moi. » Il posa sa main sur celle de la dame qui l’accompagnait alors que celle-ci s’accrochait à son bras et la tapota gentiment, une des plus vieilles courtisane de la cour. Elle avait tendance à radoter quelque peu mais elle n’en était pas moins une intéressante source d’informations. Il suffisait de la caresser dans le sens du poil et elle ne pouvait plus s’arrêter de parler.
« Sieur Dinaflet… » Minauda-t-elle en rougissant comme une pucelle, ce qui ne fit qu’assurer le jeune sorcier qu’il était définitivement entré dans ses bonnes grâces.
« Non je suis sérieux, je vous remercie d’accepter un jeune freluquet comme moi comme compagnie pour vos promenades. » Il se courba devant elle et prit sa main pour l’embrasser.
Ils se trouvaient dans la cour du château, un lieu pour le moins enchanteur. Les plus grands génies botaniques s’étaient relayés pour en faire une parfaite réplique de ce qu’aurait pu être le jardin d’Eydis. Chaque plante, pouvait justifier de son utilité et l’ensemble était tout simplement féérique, comme chaque partie du château.
« Mais je me dois de vous laisser maintenant. »
« Courrez donc après la jeunesse plutôt que de faire du charme à une vieille femme. Il serait bon que vous trouviez une épouse. »
« Aaaah… » Soupira-t-il avec emphase. « Mon cœur est pris mais l’objet de mes rêves continue à se tenir hors de ma portée. » Dit-il en lui adressant un regard appuyé ce qui la fit glousser une nouvelle fois. Il exécuta une dernière courbette et s’éloigna à grands pas.

Alors qu’il longeait les réserves royales, de grandes bâtisses contenant plus de nourriture qu’il n’était possible d’en avaler pour toute la population du palais, il croisa la route d’une personne qu’il aurait préféré éviter. Teresa était actuellement son plus gros problème. Il se doutait que sa nature d’inquisitrice l’avait aidée à percer à jour ce qu’il était véritablement mais il ne pouvait s’empêcher de se montrer plus prudent depuis qu’elle avait clairement déclaré les hostilités. Le plus dangereux pour lui, était de perdre tout contrôle et qu’il y ait des témoins pour y assister. Ce rapport de forces, qu’ils entretenaient depuis plusieurs mois maintenant, tendait à dégénérer chaque fois qu’ils avaient le malheur de se croiser. En revanche, il ne pouvait s’empêcher de remarquer qu’elle n’avait jamais mis ses menaces à exécution.

« Miss Hywell… Je vous ai reniflée de loin. » Il fit claquer sa langue avec dédain. « Une chute malencontreuse dans la bouse de troll ou c’est votre parfum naturel ? »

Quelle stupide femelle. Pensait le sorcier. Bien qu’elle ait percé à jour sa nature mauvaise elle semblait incapable de voir plus loin que le bout de son nez et elle lui prêtait de biens viles ambitions. Dominer Lanriel ? Le sourcil du jeune mage tressaillit à une telle idée. Qu’aurait-il fait de murs de bouse séchée et de pauvres éclopés puants ? Il n’avait que faire de la ville et de ses habitants. Nul n’avait jamais réellement eu d’importance à ses yeux. Pourquoi aurait-il du se coller des boulets aux pattes en traînant toute une population derrière lui ? Non vraiment Teresa n’avait aucune notion des choses de valeur et c’était une des nombreuses raisons pour lesquelles le sorcier la détestait. Le regard mauvais du jeune homme s’arma d’une lueur assassine quand elle parla de masques et de secrets. Il avait vu venir cet instant où l’inquisitrice deviendrait un vrai danger.

Pauvre âme, se disait-il, elle n’avait vraiment aucune idée de ce qu’il était prêt à faire pour arriver à ses fins. Une vie n’avait pas d’intérêt à ses yeux et il n’avait aucun mal à se salir un peu les mains si ça devenait nécessaire. Il l’avait déjà fait. Il recommencerait. Sa fossette trembla en un sourire surfait et il releva le menton, toisant la brunette avec mépris. Avec un certain délice il s’imaginait l’horreur qui pourrait se peindre sur les traits délicats de l’inquisitrice s’il accédait à sa demande. Il doutait que ses récits soient à son goût, tant sa nature profonde était vouée à faire le bien.

« Voyons Teresa… Pas plus que vous ne me tiendrez rigueur pour ceci… » S’en était trop. En le menaçant directement, et en mettant à mal sa réputation elle allait beaucoup trop loin. Il aurait pu continuer à jouer au petit jeu de la haine pendant encore longtemps, mais cette hostilité cachée n’avait plus sa place dés lors qu’elle souhaitait détruire une réputation qui lui demandait tant d’efforts. Avait-elle seulement conscience à quel point sourire comme un benêt pouvait lui coûter ? Le sucre et le miel dont il enrobait ses paroles et ses gestes lui donnait la nausée et augmentaient son aigreur.

Le sorcier leva la main et fit pivoter son poignet. La porte qui se trouvait proche de l’inquisitrice s’ouvra à la volée et il la projeta à l’intérieur, tout de suite à sa suite. La porte claqua dés qu’il en eut franchit le seuil. Un simple débarras où on engrangeait des provisions. Ici personne ne viendrait la chercher. Il planta son regard dans celui de Teresa et d’un autre mouvement de poignet invita une corde à s’enrouler autour du corps de la femme, et de sa gorge si délicate. Il passa sa langue sur sa lèvre inférieur, passablement fébrile, comme à chaque fois qu’il usait de son pouvoir. Il crépitait au bout de ses doigts, faisant courir un feu dans ses membres qui ravissait le peu de cœur qu’il avait encore. C’était ainsi, que Madwyn se sentait vivant. Le plus sûr moyen de le détruire aurait été de lui enlever ses capacités. S’il ne s’était pas retenu il lui aurait immédiatement brisé la nuque, se délectant du craquement de ses os. Il y avait quelque chose de poétique dans la mort.

« J’y penserais deux fois avant de vouloir mettre de telles menaces à exécution Teresa. Car je vous promets que si vous vous mettiez en travers de ma route, non seulement je m’abreuverais de votre sang, mais je tuerais toutes les pauvres âmes qui ont attiré votre sympathie et je vous laisserais compter les cadavres. A votre avis, combien en faudra-t-il pour que vous perdiez la tête ? Deux ? Trois ? Une dizaine ? » Il esquissa un sourire, pure diablerie.

« Vous savez ce qui sera le plus beau dans tout ça ? C’est que vous n’aurez qu’un mot à la bouche. Mon prénom. Et je vous le ferai ravaler. »