Les fous ne font que rêver à voix haute ▬ Pv Aislin

Le soleil, astre de lumière, brulait chaque centimètre carré de sa peau, à tel point qu'il en venait presque souhaiter qu'il disparut à jamais. C'était idiot, sans le soleil, que seraient-ils tous devenus. Des créatures de la nuit, une nuit éternelle et probablement oppressante. Déjà qu'aussi courte qu'elle fut, elle était oppressante, il n'était pas bon de vouloir en rajouter. Il leva la tête vers cette masse jaune lumineuse et s'excusa, à voix haute, d'avoir souhaiter sa disparition. Il mit sa main au-dessus de ses yeux pour regarder alentour. Il n'y avait rien de bien intéressant à voir aurait dit certains, mais Muirgen voyait au-delà de l'apparence des choses ou du moins il l'espérait. Une plante n'est pas qu'une plante, un grain de sable est tellement plus que cela. D'après lui, il faut savoir s'arrêter et contempler la nature dans toute sa splendeur, de toute façon, il ne pouvait pas avancer plus vite et se presser ne servait pas à grand chose dans les terres australes ; au vu du climat, plutôt dur dans cette région. Il avisa une pierre sur laquelle il s'assit pour se détendre quelques minutes et tentait, encore, de faire du thé. Tentative qui se révéla, bien vite, infructueuse. Oh ! pas à cause du manque d'eau évident, dans le désert. Non, l'eau, il pouvait la créer à volonté, il n'avait pas besoin de la puiser dans un quelconque cours. Le vrai problème, ce n'était pas un déficit matériel, mais plutôt un déficit du point de vue de la qualité du thé. Pour résumer en des termes plus crus : il était aussi dégueulasse qui si on y avait fait infusé du sable. Sur ce triste constat, Muirgen renversa le reste de la théière et reparti. Il se demandait si un jour, il réussirait à faire un thé convenable sans mettre un péril la vie d'innocentes personnes ; quoique personne ne soit vraiment innocent. Il se tourna encore une fois vers le soleil, cet astre était là depuis des temps immémoriaux. Qui sait de quelle merveille ou de quel désastre il fut le témoin au cours des siècles qu'il a parcouru, observant passivement la vie se construire et se développer. Le vieux sorcier se demandait même si il n'y avait pas que lui qui sache où pouvait se trouver le grand Inasmir ; auquel cas, eux simples mortels et même lui grand mage, avait peu de chances de jamais le retrouver. Décidément, se disait-il, ses pensées n'étaient pas bien encourageantes, peut être parce que justement il manquait de courage tandis qu'il traversait une énième étendue de sable. Mais avant qu'il n'ait eu le temps de se rasséréner, il vit apparaître une oasis au milieu du sable. Il crut d'abord à un mirage, ce n'aurait pas été impossible : il était éreinté et d'après certains de ses collègues à moitié fou. Il se dirigea vers le point d'eau et but une longue gorgée d'eau, étonnamment fraîche vu la température ambiante. Il se laissa tomber au pied d'un grand arbre dont les branches et les feuilles, très large, jetaient une ombre salvatrice aux alentours.

Il s'assoupit sans vraiment s'en rendre compte, puis fut réveillé quelques minutes plus tard par un bruit qu'il associa d'abord à une créature, puis bientôt au bruit de pas, las, d'un humain. Il ne bougea pas tout de suite, ce pouvait être un ennemi comme un ami, mais pour s’en assurer et être encore vivant dans quelques instants, il fallait rester sur ses gardes. On ne mène pas une longue vie d’aventurier en étant imprudent. Le vieux sorcier se leva avec une vivacité étonnante pour ses soixante ans et contourna une petite dune. Ce mouvement anodin lui permettrait de contourner la personne qu’il entendait arriver et de la prendre à revers. C’était une ruse basique, mais qui pouvait lui assurer une certaine avance tactique sur son visiteur. Et puis si le danger devenait trop intense, il lui suffisait de faire étalage de sa magie pour que la plupart des soi-disant aventuriers partent en courant. La plupart des gens n’ont jamais vu la magie à l’œuvre véritablement et beaucoup sont démunis face à ce phénomène ; ce n’est pas les cas des aventuriers les plus aguerris bien sûr. Il se rapprocha de la source des bruits de pas et il finit par entrevoir une silhouette plutôt fine ; probablement une femme. Autre chose qu’il avait appris avec le temps et les voyages : ne jamais se fier aux apparences. Pourtant, il sentait au fond de lui que c’était une femme, mais elle n’en était pas moins dangereuse pour autant. Il avait vu une rôdeuse arracher la tête d’un homme et depuis ce jour avait préféré ne plus sous-estimer les femmes. Il arriva enfin à sa hauteur, elle semblait exténuée même si c’était difficile à dire de dos. Il brandit son bâton, tapotant doucement l’épaule de la jeune femme. « Qui es-tu jeune demoiselle pour t’aventurer aussi loin dans les terres australes ? ».

Aislin se trouvait dans l’Auberge Du Bout Du Monde lorsqu’elle avait surpris une conversation à propos d’un vieux fou qui se baladait seul dans le désert. Un vieux fou vêtu de gris et aux yeux dorés… Ca ne pouvait être que son vieux fou à elle !

Elle fronça les sourcils en se demandant ce que Muirgen pouvait bien fabriquer dans le désert. Le sorcier parvenait à maîtriser l’eau et ne craignait rien des inoffensives salamandres mais Aislin avait entendu parler d’une bande d’hommes discrets et bien armés qui n’hésitaient pas à tuer pour voler les voyageurs qu’ils croisaient. La rôdeuse savait d’expérience que le vieil homme était loin d’être aussi vulnérable qu’il le faisait paraître mais le pouvoir du nombre ne devait pas se négliger. Sans compter que les sorciers ne sont pas immortels, même ceux du premier ordre, une flèche bien placée pouvait en venir à bout.

- Aubergiste, sais tu dans quelle direction se trouvait l’homme dont tu viens de parler ? demanda-t-elle d’une voix résolue.

Lorsque l’homme lui répondit par l’affirmative elle régla immédiatement son repas à et récupéra ensuite son sac pour s’assurer qu’elle avait quelques flèches d’avance. Elle passa encore un moment à aiguiser son couteau et le plaça discrètement dans sa manche. Elle vérifia qu’elle avait de l’eau à disposition et entama un périple laborieux pour retrouver un des hommes qu’elle estimait le plus en Lanriel.

De la sueur coula dans ses yeux. Son visage enveloppé dans une pièce de tissu ne risquait pas le coup de soleil mais elle n’en souffrait pas moins de la chaleur. Aislin s’arrêta quelques secondes pour évaluer la direction générale des traces que celui qu’elle suivait avait laissé. Elle jeta un œil alentour et n’aperçut personne. Aucune trace de menace. La rôdeuse savait pourtant que, contrairement à la croyance populaire, on n’était pas toujours seul au milieu du désert.

Ysves la suivait au pas. La jument souffrait autant qu’Aislin et elle espéra tomber bientôt sur une oasis. Lorsqu’elle la vit apparaître au loin elle crût être la victime d’un mirage, cruelle illusion qui affectait bien des voyageurs dans ces terres arides. Et pourtant plus elle s’approchait plus celle-ci semblait réelle. Elle s’arrêta à quelques pas de l’image enchanteresse prise d’une certaine émotion. Elle avait entendu parler d’une oasis légendaire, magnifique à regarder, salvatrice pour les voyageurs en peine. Peu de gens étaient parvenus à l’atteindre et voilà qu’elle y était. Car Aislin n’en doutait pas, en face d’elle se dressait la fameuse oasis légendaire.

Il était temps pour elle de pénétrer dans l’oasis. Elle s’approcha avec le plus grand respect, encore émerveillée par cette vision onirique. De grands arbres aux feuilles gigantesques ombrageaient le sable. Aislin se sentait appelée vers cette étendue protégée. Malgré son enthousiasme elle était très fatiguée et c’est d’un pas las qu’elle parcouru les derniers mètres qui la séparait de la protection des arbres suivie de sa fidèle jument. Son étonnement était tel qu’elle en oublia presque toute prudence.

Un crissement sur le sable la rappela à la réalité. Cela ressemblait fort à un bruit de pas et elle serra les dents pour retenir sa colère. Quelqu’un s’approchait derrière elle. Tandis que l’autre approchait Aislin, les mâchoires contractées, prit son parti de sortir le couteau de chasse dissimulé dans sa manche. S’il s’agissait d’un ennemi elle parviendrait peut être à se défendre en le laissant approcher suffisamment près d’elle pour pouvoir l’égorger.

Un bâton tapota son épaule tandis qu’une voix bien connue lui demanda rudement qui elle était. Elle se détendit immédiatement et rangea le couteau à sa place.

- Et bien, on devient trop sénile pour reconnaître ses amis ? lança-t-elle railleusement.