Voilà quelques jours que son intendant lui parlait du diplomate royal mais Rayner était beaucoup trop occupé avec les affaires internes de sa cité pour consacrer une minute à cet étrange envoyé. A chaque fois que l'homme chargé de la prise des rendez-vous tentait d'aborder le sujet avec lui, il se trouvait toujours quelque chose pour empêcher cette discussion. Un problème entre deux soldats, un souci avec les stocks d'arme, des ennuis relatifs aux dragons ... En tant que plus haute instance de ces lieux, Rayner Renfor était tellement sollicité que lorsqu'il devait se plier aux jeux de la diplomatie politique, il avait toujours une bonne excuse pour se défiler.
En l'occurrence, il avait des doutes quant à la raison de la présence du diplomate royal dans l'enceinte du palais. Son père avait en quelque sorte promis que les dragonniers protégeraient les singuliers de la cours si jamais ces derniers venaient à ne plus pouvoir se défendre seuls. Et en ces temps troublés, il était on ne peut plus clair que l'aide du plus puissant corps de l'armée ne serait pas de trop. C'est pourquoi il savait sans en être certain que le diplomate n'était là que pour renforcer ces accords et éventuellement lui faire signer un contrat écrit. Il n'avait jamais beaucoup aimé ces méthodes, même s'il en comprenait l'utilité. Un contrat en bonne et due forme, à l'encre sur un parchemin, était irréfutable. Une parole, même celle d'un homme comme son père, droit et rigoureux, pouvait être contredite, retirée, déformée ... Mieux valait l'assurance de l'écriture. Mais c'était un piège vicieux qui l'obligerait par la suite à obéir au doigt et à l'œil au souverain de Cathairfál.
C'est ainsi que, assit derrière son large bureau de bois sombre, dans cette pièce à la fois austère et lumineuse, il méditait quant au bien fondé de ces accords. Il était évident qu'il valait mieux la paix que la guerre, qui arriverait bien assez tôt étant donné les récents événements, mais il refusait tout net que son ordre soit soumis au bon vouloir d'un quelconque roi, tout souverain fut-il. Lui même se contentait de diriger administrativement les dragonniers, de les entrainer et d'en faire une puissance militaire incontournable, mais il ne s'en servait pas pour ses intérêts. Il veillait au bon fonctionnement de chacun des aspects de la cité, qu'ils soient militaires où autres, et n'entendait pas qu'il en soit autrement. Alors bien sur, il ne fallait pas oublier qu'ils étaient avant tout des soldats, mais il y avait tant d'autres éléments à prendre en compte ... La plupart des dragonniers avaient une famille, entre ces murs. Et il fallait nourrir et entretenir tout le monde, veiller à la paix interne, au confort, à la justice et à l'éducation de ceux qui, à défaut d'être dragonnier, seraient forgeron, boulanger ou encore herboriste.
Attrapant un parchemin portant le cachet de la famille Faroncor, il le déroula et entreprit de lire la missive, qui n'avait rien de politique et qui ressemblait plutôt à une correspondance amicale. Mais alors qu'il arrivait à la fin de sa lecture, son intendant pénétra dans le bureau et lui annonça de but en blanc que Mlle Scarlett de Vinter, diplomate royale pour le compte de Cathairfál, serait dans ce bureau dans la journée, peu après l'apogée du soleil dans le ciel. Surpris, le général observa son vieil ami et lui demanda d'un ton perplexe comment une telle chose était possible.
- Elle s'est montrée trop insistante pour que je lui refuse une fois de plus une audience avec vous, Rayner.
Le général secoua la tête d'un air agacé et reformula sa question :
- Comment est-ce possible que le diplomate royal soit une femme ?
Le général avait beau être quelqu'un de droit, de fier, de juste ... Il y avait certaines choses qui dépassaient son entendement. Certes, la diplomatie pouvait être une affaire de femme, il n'en doutait pas ...
Mais que le royaume juge pertinent de confier ce genre de tâche à une femme le surprenait. Il fallait qu'elle soit bien spéciale, pour avoir une telle place. Il n'en avait jamais entendu parler, de cette Miss De Vinter. Il faut dire que, retranché dans la cité des dragonniers, il ne se souciait pas vraiment de ce qui pouvait se passer ailleurs. Bien sur, il était régulièrement tenu au courant des affaires du royaume mais jamais il n'avait été question de femme, dans les courriers qu'il recevait.
Dans son esprit, la femme devait être celle qui tenait la maison. Celle qui portait et élevait les enfants tout en s'occupant avec tendresse et dévouement de son mari. Sa vision était peut-être préhistorique, mais il ne s'en rendait pas compte. Élevé dans un monde d'homme, sans aucune figure féminine, il en avait conçu un idéal erroné et basé sur les dires de son père, de ses mentors de combat et de ce qu'il avait pu lire. Bien loin de la vérité, en fin de compte.
- Une femme fait parfois preuve de bien plus de finesse que les hommes, Rayner. Pour la diplomatie, c'est une qualité qui s'avère nécessaire ...
L'intendant avait un tout autre avis sur les femmes, mais il se gardait bien d'en faire part à son supérieur et ami. Il avait compris depuis longtemps que le général pouvait être étroit d'esprit et inflexible sur certaines choses, donc il n'essayait pas de le faire fléchir ou de lui faire admettre un avis différent.
Le dragonnier hocha la tête d'un air sceptique et annonça d'un ton calme qu'il recevrait donc l'envoyée royale dans la journée, ici même.
A l'heure dite, Rayner était toujours dans son bureau, assit dans son large fauteuil et penché sur des documents importants qu'il devait lire et approuver, concernant la nouvelle organisation des entrainements avec les dragons. Il avait troqué son armure réglementaire contre un habit plus adapté aux courbettes diplomatiques, une tunique classique mais soignée, élégante, en velours bleu nuit et qui abordait au niveau du torse le blason alambiqué de son ordre. A la fois imposant et simple, il s'était fendu d'un brin de toilette avant de recevoir la diplomate royale, ne voulant pas donner l'impression que les dragonniers n'étaient que des soldats, des brutes épaisses sans raffinement. Ce qu'ils étaient pourtant, pour la plupart.
Alors qu'il paraphait le dernier document à l'aide d'une plume élégante mais solide, les portes de son bureau s'ouvrirent et une jeune femme blonde entra, fière et déterminée, venant se planter au milieu de la pièce, devant son bureau, avant de faire la révérence et déclarer d'un ton assuré, clair :
▬ Scarlett de Vinter, diplomate au service de son Altesse Royale Arsenios Hardansson. Je viens m'assurer de la stabilité des accords d'entraide entre la grande cité d'Hardan, Cathairfál et l'altière Mhian Dhiaga, demeure des maîtres des Dragons.
Malgré ses réticences et son côté masculin très prononcé, le général ne pu s'empêcher de remarquer l'assurance et la confiance dont faisait preuve la jeune femme. Elle parlait avec aisance la pertinence de ses paroles transparaissaient tout de même à travers ses formules de politesse un peu complexe, usage naturel de mise dans cette discipline complexe qu'était la diplomatie.
Il se leva et recula son fauteuil pour contourner son bureau, venant s'incliner devant elle avec déférence et politesse, avant de lui prendre la main pour un déposer un baiser. Dragonnier ou pas, son père lui avait apprit à la force du blâme les règles de la bienséance et de la galanterie, donc il s'y pliait à contrecœur mais avec une facilité déconcertante.
- Bienvenue à Mhian Dhiaga, Ma Dame. Je vous en prie, asseyez vous.
Lui désignant un des fauteuils qui faisaient face à son bureau, il le contourna pour le tirer doucement, l'invitant ainsi à s'asseoir. Passées les politesses et les courbettes, ils pourront aborder le vif du sujet.