SCARLETT DE VINTER ♠ The Bloody Lady is back

"Quelle jolie robe, lady de Vinter... On dirait presque que vous êtes décente." La voix, féminine, aux accents empruntés, indiquait que la personne qui venait de s'adresser à elle était probablement une de ces vieilles chouettes dévôtes qui semblaient avoir envahi le palais depuis le début de la malédiction d'Eydis et qui semblaient tenir tous ceux qui ne se répandaient pas en bondieuseries pour responsables de la situation. "On ne vous a guère vu aux offices de repentance pour obtenir le pardon de notre déesse bien aimée..." C'était donc de ça qu'il s'agissait... L'exaspération gagna Scarlett. Elle était venue ici pour assister à un bal, non pour subir les aigreurs d'une cinquantenaire fanée qui trouvait un maigre reliquat de bonheur dans le fait de se montrer ouvertement insultante. La jeune femme envisagea un instant de lui souffler au visage une substance qui transformerait sa soirée en enfer mais se retint. Sa Majesté Arsenios n'apprécierait probablement pas que son assassin fasse du zèle en public. Ses paupières se refermèrent un instant sur ses yeux clairs alors qu'elle se composait un visage de circonstances, plaquant sur son joli minois un sourire radieux avant de se retourner dans un froissement de satin pour faire face à son ennemie. Qui s'avéra aussi décevante que ce qu'elle avait imaginé. Maigre, l'air maladif, un visage couleur de cendre aux lèvres pincées, attifée d'une robe de deuil sans doute en signe de pénitence, elle portait d'encombrants symboles et grigris semblant provenir de l'échoppe d'un marchand de reliques peu honnêtes. Sans même un mot de salutations ou une réflexion relative à la manière injurieuse dont on s'était adressée à elle, la main de la jeune femme voleta jusqu'à un de ces colliers massifs dont elle attrapa le pendentif alors que sa propriétaire reculait dans l'espoir d'éviter son contact. "Ne soyez pas si inquiète, milady. Je ne vous veux pas le moindre mal..." Elle se retint d'ajouter pour le moment. "... mais ce symbole m'est quelque peu familier. Je ne sais pas où je l'ai vu."

La rombière sembla se détendre quelque peu. Son visage se défroissa à peine alors que Scarlett examinait le bijou en détail. Un travail fruste, rapide, tentant d'imiter un style primitif. À son poids, la jeune femme pouvait deviner qu'il s'agissait de bois qu'un faussaire avait recouvert de feuilles dorées et qu'il vendait pour des objets anciens et magiques à des nobles trop bêtes pour reconnaître une contrefaçon. "Je l'ai acheté dans la boutique d'un dénommé Javeed Ursha." annonça la bigote. Le sourire de Scarlett s'élargit avant de répondre. "Je l'aurais deviné..." "Un honnête homme. Très croyant et respectable." "Je n'en ai jamais douté..." "Ainsi que je vous le disais, votre absence aux offices de contrition a été fortement remarquée, Lady de Vinter. Une jeune femme comme vous, avec votre comportement, devrait se sentir particulièrement concernée par la colère de notre déesse..." Elle la laissa continuer sa tirade sur le péché sans l'interrompre esquissant à peine un mouvement pour s'emparer d'un verre de vin sur le plateau d'un domestique pour le déguster à petites gorgées. Finalement son interlocutrice sembla s'essouffler et mit un terme à son sermon. "Tout ceci est très intéressant, mon amie, mais j'aimerais savoir auquel de mes comportement votre discours fait référence..." La menace à peine voilée eut un effet étonnant sur son accusatrice. La jeune femme la regarda se racornir, se rapetisser et tenter de chercher une échappatoire alors que la peur d'avoir dépassé les bornes l'envahissait. Scarlett devait avouer prendre un certain plaisir à terroriser ce genre d'individus méprisables et inutiles aussi son mouvement suivant fut-il effectué dans le seul but de rajouter encore au trouble de cette dernière. "Suivez mon conseil, ma chère. Évitez de vous mêler de la façon dont les autres présentent leur respect à notre déesse. Cela vous évitera de nombreux, nombreux ennuis. On peut même dire que votre espérance de vie ne s'en portera que mieux." Elle attrapa à nouveau le pendentif. "Et cessez de vous balader avec un symbole phallique autour du cou, vous y gagnerez en respectabilité... Maintenant si vous voulez bien m'excuser." Elle se fendit d'une révérence gracieuse, posa son verre vide sur le plateau d'un serviteur et traversa la pièce en quête de personnes plus intéressantes avec lesquelles discuter. Parvenue de l'autre côté de la salle de bal et n'ayant toujours rencontré aucun interlocuteur digne de ce nom, elle posa son noble séant sur une chaise pour observer le prochain mouvement de la Blasonnée...

Elevée par son oncle pour devenir l'assassin royal, Scarlett avait tout de même reçu quelques leçons profitables sur l'étiquette, le protocole et la façon de naviguer à la cour de la part de sa mère durant les rares moments passés en sa compagnie. Elle s'en servait sans vergogne depuis sa présentation à l'âge de 15 ans au point qu'elle en maîtrisait parfaitement les plus petites subtilités. La Cour était désormais son domaine et elle y avait un tel poids que la plupart des gens prenait la moindre de ses allégations pour argent comptant. La blasonnée n'y avait pas fait exception et considérait à présent son collier avec une expression de dégoût mêlée d'une terreur de la divinité. Elle s'imaginait probablement qu'Eydis allait la foudroyer pour avoir porté un tel artefact. Cette idiote n'était même pas capable de reconnaître un mensonge lorsqu'il lui était servi avec un ton suffisamment convaincant.Scarlett s'empara d'un autre verre de vin, adressant occasionnellement sourires radieux et bons mots à ceux des courtisans qui lui adressaient la parole. Ses éventuels cavaliers n'étaient pas encore arrivés, laissant à la jeune femme tout le temps de méditer non seulement sur les évènements des derniers mois mais aussi de remuer un couteau dans une vieille plaie. Que serait-il passé si le Bouclier n'était jamais tombé? Elle serait probablement assise à cette même place mais entourée de sa famille, exerçant le même métier alors que son oncle aurait pu enfin goûter à la vie calme et contemplative à laquelle il avait toujours aspiré. Sa mère, son père auraient vécu. La fiancée de son frère aussi. Et Blake. Blake n'aurait pas eu cette terrible rancoeur envers elle. Il ne se serait pas lancé dans cette croisade insensée et elle n'aurait pas eu à enterrer des cadavres calcinés et atrocement mutilés qu'il avait fallu identifier toute seule. Son frère lui opposait le fait qu'elle lui avait sauvé la vie. Sa main délicate se referma autour du pied du verre dans un mouvement spasmodique alors que la colère l'envahissait. Les années avaient eu beau passer, elle avait toujours autant de mal à rendre visite aux tombes de ses proches au fond du grand parc de sa forteresse. Un assassin mal à l'aise avec la mort, il y avait de quoi se gausser franchement... Pourtant le sentiment de perte lui paraissait aussi vivace qu'au premier jour quand, âgée de 20 ans à peine, elle avait du assister seule à l'inhumation d'une famille qu'elle avait perdu. Si elle recroisait Blake, il était tout à fait possible que sa rancoeur explose. Elle n'avait pas oublié non plus cette gifle cinglante et la douleur cuisante infligée non seulement à son visage mais aussi à sa fierté avant que son aîné ne disparaisse dans la nuit pour poursuivre ses propres buts... Elle se rendit compte que ses réflexions devaient probablement se lire sur son visage et tâcha de se changer les idées en promenant son regard clair sur la salle. Il n'était pas bon d'afficher de telles faiblesses en public. Elle finit par se lever.

Déambulant dans la salle, elle fut finalement interpellée par un groupe de jeunes femmes avec qui elle échangea un moment des banalités qui eurent au moins pour effet de la sortir de ses moroses réflexions. Lorsqu'elle en eut terminée avec cette bande d'évaporées pour le moins sympathique qui ne rêvait que de trouver le prince charmant pour lui pondre une flopée de petits nobles, Scarlett était nettement moins sérieuse et moins sombre. Cherchant des yeux ses détracteurs préférés, la jeune femme leur adressa une révérence parfaite avant de se mettre en quête d'un partenaire de danse digne de ce nom. Les faire parler constituait une occupation comme une autre, ne requérant d'elle aucun effort particulier de sa part. Pour provoquer chez eux la réaction attendue, il lui suffisait d'être égale à elle-même. Cynique, scandaleuse, haute en couleur et surtout ne pas hésiter à prendre les devants. Avisant l'un de ses habituels cavaliers, la jeune femme fondit sur lui avec son habituelle attitude. "Très cher, quelle joie de vous revoir enfin!" "Lady de Vinter, laissez-moi vous renvoyer le compliment." "Vous nous avez manqué ces derniers mois et je commençais à croire que vous aviez décidé, comme le printemps de nous faire faux bond." "Pardonnez-moi, ma dame. J'étais parti rendre visite à des parents. À Port-aux-Princes. La route n'a pas été facile et..." Scarlett afficha une expression de surprise et d'intérêt parfaitement imités alors que le Blasonné lui expiquait ce qui l'avait occupé au cours des semaines écoulées. Surprise feinte car elle le savait déjà. Intérêt artificiel parce que le court du poisson sur les marchés lanrielois n'avait définitivement rien de passionant. Son interlocuteur sembla d'ailleurs s'en apercevoir puisqu'il interrompit soudainement son monologue. "Je manque à tous mes devoirs, lady de Vinter. Je dois vous ennuyer. Voulez-vous danser?" "Vous ne m'ennuyez pas, mon ami. Mais si vous voulez danser ce sera volontiers. Cela fait une éternité que je n'ai pas eu un cavalier décent... Ou dont l'âge soit inférieur à la quarantaine." Le trait d'humour associé à la flatterie parurent atteindre leur but puisque le Blasonné eut un petit rire amusé avant de lui offrir sa main qu'elle accepta volontiers. Il faisait partie des gens les plus amicaux de la cour. Son esprit n'était sans doute pas le plus affuté de Lanriel mais sa fidélité comme celle de toute sa famille était acquise au roi et il avait un naturel joyeux des plus rafraîchissants dans un tel bassin à requins. Si on ajoutait à cela, le fait qu'il était plutôt joli garçon et qu'il ne lui marchait jamais sur les pieds, Scarlett en vint à la conclusion qu'elle pourrait finalement passer une très bonne soirée. Après des mois plongée dans la recherche d'Inasmir, après avoir présidé au procès d'une jeune sorcière, après avoir commandité une exploration de la forteresse de Mogaror pour le compte du roi et malgré ce printemps qui n'arrivait jamais, la jeune femme finit par se dire qu'enfin elle allait peut-être retrouver une vie plus en accord avec son caractère et sa fonction première. Retrouver ses complots et ses intrigues de couloir. Ses informateurs, ses préparations de poisons et la succession des bals et des fêtes du palais royal... Peut-être.